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Bowling For Columbine

19 Septembre 2014, 14:34pm

Bowling For Columbine

Michael Moore est un réalisateur hors du commun (voir The Big One), le cinéma vérité est son outil de travail, et sa caméra une arme dévastatrice d'idées préconçues et de mauvaise fois exacerbée. Le bougre, sous son air débonnaire d'américain moyen nourri au McDo toute l'année avec la chemise qui sort du pantalon, appuie, enfonce et triture là où ça fait mal. Sa cible ? La prolifération des armes à feu aux Etats-Unis, le fait qu'elles engendrent plus de 11 000 morts par an au pays de l'oncle Sam... Et avec en filigrane, deux heures durant, cette question qui le hante : pour quelle raison les américains s'entretuent-t-ils ? Sa quête de vérité, dans laquelle il n'a aucun mal à nous entraîner, le conduit à rencontrer ce qui se fait de mieux dans l'expressionnisme beauf ricain.

Une Amérique "filmée" jusqu'aux dents

Il faut voir le visage buriné par la bêtise de cet homme, autrefois suspecté d'avoir eu des liens avec les commanditaires de l'attentat d'un bâtiment fédéral qui à fait plus de 150 victimes, s'exprimer devant la caméra de Moore. Son entretien avec le réalisateur est parfois surréaliste, voire effrayant. Moore lui demande : "Votre combat pour la liberté est certainement louable, mais ne serait-il pas plus fondé de le mener sans armes en prônant la non violence, comme Gandhi par exemple, plutôt que de tout le temps se préparer à une hypothétique guerre civile avec un flingue dans chaque main ?". En plus de s'offusquer de cette suggestion qui le conduirait à se débarrasser de sa collection de 44 magnum, le bonhomme balance un héroïque : "Gandhi ? Mais je ne connais pas ce monsieur !". Et des moments comme celui là, il y en a des tonnes dans Bowling For Columbine. Moore se garde bien de juger sur le moment ce qu'il réussit à imprimer sur la pellicule, il se contente dans un premier temps d'écouter. Et s'il ne s'engage pas dans un débat immédiat avec ses interlocuteurs, c'est certainement pour deux raisons, qui à la réflexion nous paraissent évidentes. La première est que ceux qu'il interroge n'inspirent pas vraiment confiance (le regard d'un homme qui n'exprime rien et dont le cerveau est de toute évidence une éponge gorgée de poncifs débiles pro-américains, cela peut éventuellement passer durant un repas auquel on s'est retrouvé par erreur…). Enfin, on peut éventuellement discuter avec une telle personne. Mais si en plus le gus a dans les mains un M16, une arme de guerre impressionnante, que pour lui parler vous avez interrompu sa séance de tir quotidienne, et qu'il a déjà du mal à faire tenir son pantalon avec sa ceinture, on a plutôt sur le moment une forte envie de ne pas le contrarier.

Le montage, une arme redoutable entres les mains de Moore

La seconde raison qui fait que le débat n'est pas immédiatement engagé avec les personnes interrogées, c'est que Moore préfère, au lieu d'un échange forcément stérile, utiliser le montage, qui entre ses mains expertes devient une véritable machine à exploser les idées reçues. Un fabricant de missiles lui indique que jamais les Américains n'ont utilisé leurs armes à des fins autres que la paix dans le monde. Cut. Le cinéaste enchaîne immédiatement avec un mini-documentaire composé d'images d'archives relatant 20 ans d'interventionnisme américain. Le producteur du show télévisé Cops lui explique qu'il ne pourrait pas traiter autre chose que l'arrestation télévisée de petits malfrats, et que poursuivre des gars en costume à Wall Street, responsables du détournement de millions de dollars, n'intéresserait pas les téléspectateurs. Cut. Moore enchaîne avec son émission à lui et se met en scène poursuivant les golden boys à la sortie d'immeubles financiers. Il réussit à imprimer un rythme salvateur et efficace avec un montage soigné aux petits oignons, un procédé bien plus efficace que de longs discours. Sa démarche consistant à alterner une scène épouvantable comme un assassinat en direct avec une scène plus légère mais qui ne s'écarte pas du sujet (le sketch irrésistible sur les armes de Chris Rock) permet aux spectateurs de souffler un peu, sans perdre une miette du message que veut faire passer le réalisateur. Tout le monde en prend pour son grade, les miliciens, Bush, la NRA (National Rifle Association) et enfin en "topping", le patron de cette association, Moïse en personne : Charlton Heston. Le final où le réalisateur pousse le comédien dans ses derniers retranchements est tout simplement terrifiant, mais aussi diablement efficace.

Ben-Hur en berne

Bowling For Columbine est tout simplement un petit chef d'œuvre. Que ce soit dans sa construction scénaristique, jouant habilement sur les contrastes dramatiques et les situations burlesques, ou dans son évolution thématique : partant d'une question simple, sans jamais s'écarter de son sujet, Moore apporte des éléments de réponse à une question qui le hantait. Le seul défaut qu'on a pu y voir, ce sont quelques raccourcis un peu faciles (notamment sur ses positions vis à vis de l'Europe et des armes à feu), mais qui ne nuisent en rien à l'ensemble du récit. Ah, si, on allait oublier, à cause de lui, on a du balancer à la poubelle l'édition collector de Ben Hur. Il faudra certainement un peu de recul et de discernement avant de pouvoir à nouveau regarder un trou du cul faire le pitre sur un char. En tout cas, à la sortie de Bowling For Colombine c'est un peu difficile.

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